ANDREÏ KOURKOV, LES ABEILLES GRISES
ANDREÏ KOURKOV, LES ABEILLES GRISES
S’il y a un roman à lire en ce moment, c’est bien celui-là ! D’abord parce qu’Andreï Kourkov est un excellent romancier; ensuite parce qu’il est Ukrainien et que son dernier livre nous permet de mieux comprendre ce qu’il se passe actuellement dans son pays. Malgré ce que l’on pourrait craindre, Les abeilles grises est un roman très tendre, en tout cas un de ces romans qui tend à nous faire croire que l’on peut garder encore un peu d’espoir.
A vrai dire, Les abeilles grises pourrait presque passer pour un “road-novel”, un de ces romans qui emmène son personnage principal d’un lieu à un autre sans objectif bien précis. Un voyage en quatre saisons. Sans les violons de Vivaldi mais avec le bruit des bombes en fond sonore. Ou le bourdonnement apaisant des abeilles.
Tout commence dans la “zone grise”, ce bout du Donbass où, depuis des années, s’affrontent quotidiennement – mais sans grande intensité – Ukrainiens et séparatistes pro-russes. Sergueïtch et Pachka, celui qu’il appelle son «ennemi d’enfance”, ont tous les deux refusé de quitter leur village. Les journées d’hiver sont longues et le temps passe lentement quand on n’a rien à faire ; le moindre changement dans la monotonie des jours devient un événement comme la visite d’un soldat, Paco, qui pour remercier Sergueïtch de lui avoir offert un thé, laisse sur sa table … une grenade ! Le roman est plein de ces petits détails insolites et pourtant parfaitement justes quand il s’agit de décrire des comportements.
Le printemps venu, Serguëitch embarque ses ruches – car oui, il est apiculteur – pour que ses abeilles puissent butiner ailleurs que dans ce no man-land. Le voici dans la région de Zaporijjia, l’Ouest de l’Ukraine où il fait la connaissance de la généreuse Gloria. Contraint de s’éloigner à la suite d’un malentendu, il descend vers le Sud, franchit la frontière de Crimée, russe depuis peu. Pas facile le passage des frontières quand on vient de la zone grise ! Mais sur place la famille de son ami Ahtem, apiculteur comme lui, l’accueille à bras ouverts bien qu’Ahtem lui-même ait disparu depuis 2 ans ! Lorsque l’été s’achève Sergueïtch reprend la route du Nord pour ramener ses abeilles à Mala Starogradivka. La boucle est bouclée et le roman se termine sur une dernière péripétie qui laisse le lecteur surpris autant que ravi.
Le roman de Kourkov est un vrai bonheur de lecture. Je me souviens de son premier roman, Le Pingouin, sorti il y a une vingtaine d’années, qui m’avait déjà beaucoup plu et je retrouve dans Les abeilles grises la même fantaisie et la même intelligence, la même finesse pour suggérer beaucoup et avoir toujours l’air d’en dire moins que ce qu’il dit vraiment et qu’il appartient au lecteur de comprendre à demi-mots.
Lire ce roman dans le contexte actuel n’a rien d’un geste militant, mais chaque scène, chaque description de paysage, chaque dialogue prend une coloration particulière. On craint toujours le pire, mais le pire n’est jamais certain et l’on bascule constamment de l’inquiétude au soulagement, du soupçon à la quiétude, comme lorsque Sergueïtch allongé sur ses ruches attend qu’elles le guérissent et lui rendent sa sérénité. Il suffit parfois d’un rayon de soleil pour oublier les cauchemars de la nuit.
Et puis, le livre lu, on se sent forcément un peu plus proche des Ukrainiens.
Nicole Dupré
S’il ne se déroulait pas dans une zone de conflits bien réels et tragiques, on pourrait résumer ce livre en quelques mots : « La folle et dangereuse équipée d’un apiculteur transportant ses ruches passer l’été ailleurs ! ». En lisant cette longue aventure singulière et drôle de Sergueïtch, à bord d’une voiture usagée et sans vitres et grâce à l’humour tendre de l’écrivain ukrainien Andréï Kourkov on comprend mieux les événement dramatiques actuels.
A lire absolument !
CB