Le prix littéraire de l’UIAD a été attribué à Nathan Harris

Lundi après-midi, dans le plus grand secret de la salle 01, les jurés du prix littéraire ont questionné, argumenté, discuté– sans jamais se disputer – bref délibéré pour choisir leur roman préféré parmi les 9 qui leur avaient été proposés. C’est finalement le roman d’un très jeune auteur américain, Nathan Harris qui l’a emporté : La Douceur de l’eau, publié par Philippe Rey en 2022.

 NATHAN HARRIS, LA DOUCEUR DE L’EAU

Lire c’est, anticiper, faire continuellement des hypothèses, imaginer ce que l’auteur va inventer pour ses personnages, comment il va les tirer d’affaire ou au contraire les enfoncer… Et ce que j’aime par dessus-tout, c’est lorsque mes hypothèses sont démenties au fur et à mesure que j’avance dans le roman. Lorsque l’auteur n’emmène pas son lecteur sur des chemins convenus, mais le surprend constamment. Voilà en tout cas ce que Nathan Harris, qui n’en est pourtant qu’à son premier roman, parvient à faire.

La douceur de l’eau est un roman sudiste, puisque l’intrigue se déroule en Géorgie, juste à la fin de la guerre de sécession. D’un côté les vaincus, les Blancs donc. De l’autre côté les Noirs, esclaves tout juste affranchis. La situation est complexe (et à ma connaissance pas souvent abordée dans un roman), parce que la liberté sans les moyens d’en user, est-ce vraiment la liberté ? Prentiss et Brandy se sont réfugiés dans les bois, libres certes, mais sans moyens de gagner leur vie sauf à retourner sous le joug de leurs anciens propriétaires. Les propriétaires justement ne sont pas tous aussi affreux qu’on voudrait le croire. Certains sont pires, et ont du mal à accepter la défaite ; mais d’autres ont été ruinés par l’abolition de l’esclavage. D’autres encore sont depuis toujours en dehors du système ; c’est le cas de George et Isabelle Walker, dont le fils Caleb a été porté disparu …. Une famille atypique pour le Sud, dont les agissements – ils ont engagé Prentiss et Brandy, leur donnent un salaire et un logement – est mal accepté par la « bonne » société…

C’est le début d’une situation qui se complique de chapitres en chapitres, au fur et à mesure que l’auteur précise le caractère de ses personnages et les raisons de leur comportement, tout en restant suffisamment allusif pour que le lecteur ait envie de compléter en fonction de ce qu’il sait ou croit savoir sur cette Amérique, celle de 1865 qui n’est peut-être pas si différente de celle d’aujourd’hui.

Un premier roman aussi réussi, aussi riche que La Douceur de l’eau est chose rare. Le talent de Nathan Harris est indéniable, il a des choses à dire, il sait faire évoluer ses personnages, il sait créer une intrigue, décrire des paysages, construire des dialogues… Son roman a obtenu la récompense Ernest J. Gaines, c’est tout dire. Reste à espérer qu’il ait en réserve suffisamment de matière pour d’autres romans. Mais je n’en doute pas.

Nicole Dupré

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