Camarade papa
CAMARADE PAPA par GAUZ
Le titre déjà, interpelle. Camarade Papa, c’est la découverte d’un auteur et d’un roman, plein d’esprit et chaleureux, tous deux à coup sûr singuliers.
Camarade Papa, c’est une histoire d’homme qui rencontre la grande Histoire, aux origines de la colonisation de la” Côte de l’Ivoire”, telle qu’on ne l’a jamais racontée. C’est le moment où le comptoir de Grand Bassam devient la porte d’entrée de l’appropriation du territoire par la IIIeme République.
“Colonisation , décolonisation et autres luttes marxistes”, c’est ainsi que Gauz présente son second roman. Gauz, né en 1971 à Abidjan de parents politisés, de formation scientifique, s’est installé en France en 1999. Il est l’auteur de “Debout Payé” (2014), histoire d’un vigile sans papiers. Humour, liberté d’esprit insolente et tendresse, le ton de Camarade Papa est inimitable.
” J’ai deux cultures en moi” affirme Gauz, ce qui lui permet d’écrire à la première personne deux récits parallèles au nom de deux personnages différents. Ce sont deux regards croisés sur la colonisation: ceux d’un colonisateur blanc vers 1880, et d’un enfant noir vers 1970 qui exprime lui, la voix du colonisé.
Dabilly, petit agent de la politique coloniale française en Côte d’Ivoire, embarque à La Rochelle à destination de Grand Bassam pour le compte d’une compagnie de commerce. Après la défaite de 1870, La République de Jules Ferry se lance dans une entreprise de “mission civilisatrice” à destination des “races inférieures” d’Afrique. Dabilly est là pour contredire cette idée : il espère simplement la réalisation d’un destin personnel. Plutôt que conquérant, il se comporte en immigré blanc curieux de son nouvel environnement.
A Grand Bassam, la haine est grande vis à vis des rivaux anglais de la “Côte de l’Or” toute proche. C’est la poursuite d’une économie de traite déjà ancienne, et fait nouveau pour fixer les frontières, la course aux traités d’allégeance signés par les chefs locaux. Dabilly observe : dans les milieux coloniaux, il y a les “négrophiles” et les “négrophobes”. Il y a les commerçants et quelques grandes figures de serviteurs de la République. Les corps blancs sont malades (“les fiévreux” et les “diarrhéiques”), les corps noirs athlétiques, mais le “grand fétiche blanc” : le drapeau tricolore levé au sommet d’un mât, impose respect. Le récit est malicieux …et historiquement fondé. Il se veut à hauteur d’homme : approcher la réalité du vécu.
Dabilly sera considéré par les populations locales comme un “Parisien”, un homme blanc valeureux et curieux du pays.
Dans les années 1970, un petit Noir est né à Amsterdam, berceau du capitalisme, de parents révolutionnaires. Sa maman est partie en Albanie, le paradis socialiste de Hodja. Son Camarade Papa, le confie à Yolanda, une prostituée noire au grand coeur. Il parle le néerlandais et en écoutant ses parents francophones, s’est constitué un sabir franco- marxiste, une langue métissée détonante qui fait la joie du lecteur. Camarade Papa l’envoie rejoindre son berceau familial en Côte d’Ivoire. Geneviève, institutrice amie de Papa, se donne pour mission de lui enseigner le bon français avant de le rendre à sa grand-mère maternelle. L’enfant pense arriver dans l’enfer colonial…
Bien entendu, les deux personnages sont destinés à se “rencontrer” au delà du temps … car Dabilly est le symbole d’une histoire d’amour entre deux civilisations.
Le roman est éminemment sympathique, mais ne nous y trompons pas !
Au delà du ton humoristique choisi, Gauz veut dénoncer les fictions de l’Histoire créatrices de discours coloniaux et raciaux totalement artificiels. Et pour nous le montrer, il intercale entre les chapitres du roman des petits récits fictionnels présentés comme des légendes coloniales circulant entre les générations. Encore une originalité.
Magali Roubaud.
*Le roman est paru aux Editions du Nouvel Attila qui ont fêté en 2018 leurs dix années d’existence. L’objectif de cette maison d’édition indépendante est la découverte de pépites littéraires hors des sentiers battus.
Gauz, Camarade Papa, Editions du Nouvel Attila*, 2018, 251 pages.
Un roman qui porte un regard différent sur la Côte d’Ivoire et son histoire, avec humour et dans une langue d’une grande inventivité.
Une maison d’édition qui affirme : “La lecture est pour nous cette affaire de passager clandestin qui remet tout en question… sans qu’on puisse préciser si le clandestin est le livre ou le lecteur. Attila ose douter, écouter les textes, se laisser surprendre. Se réinventer, parfois. Se faire plaisir, toujours.”
Quelle belle définition !
CB