Le Laboratoire vivant « Travail-emploi : quels modèles pour le futur?

«Le Laboratoire vivant « Travail-emploi : quels modèles pour le futur? » a animé une réflexion autour de la question des modèles de travail et d’emploi pour le futur.

 

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Fondé par un collectif de membres de l’UIAD, de personnalités extérieures, industriels, universitaires, jeunes diplômés, avec le soutien de Grenoble Alpes Métropole et l’appui de laboratoires universitaires, il a pour ambition, en privilégiant les liens inter-générationnels et inter-professionnels, de réunir des contributions originales sur les questions du travail, de l’emploi, de l’économie et plus largement de l’évolution de nos sociétés

 Il vise également à susciter des pistes d’actions, d’initiatives citoyennes et des recommandations en direction des acteurs économiques, politiques et sociaux

 En 2019, des « amphis-débats » sont organisés pour débattre avec des personnes invitées qui présenteront une synthèse sur les connaissances actuelles en matière d’organisation de la production, des conditions de travail, des rapports sociaux dans les entreprises, des initiatives prises pour des formes nouvelles de travail plus collectives (Makers, Economie Sociale et Solidaire,…).”

La première conférence s’est tenue le 31 janvier, ci-dessous un bref aperçu.

Ouverture de la conférence par Gérald Dulac qui rappelle les objectifs du projet et annonce les réunions du 6 mars : atelier préparatoire à l’amphi-débat avec Oliver Favereau du 28 mars.

Une centaine de participants, en présence de Alain Franco, Président de l’UIAD, de Cédric Mazzone, Directeur de l’UIAD, de Daniel Brissaud, directeur de l’ENSGI (INP Grenoble), de Marie-Josée Salat vice-présidente déléguée à l’économie, l’industrie, le tourisme et le rayonnement de Grenoble Alpes Métropole, de Magali Talandier (Institut de Géographie Alpine). Une présence très significative (un tiers environ de jeunes étudiants INP et UGA).

Sur la photo, de gauche à droite:

  • Gérald Dulac membre du groupe Lab travail emploi et Président de séance pour cette conférence
  • Marie-Josée Salat : Vice- présidente déléguée à l’économie, l’industrie, le tourisme et le rayonnement de Grenoble Alpes Métropole  
  • Pierre Veltz : le conférencier sur le thème d’un de ses bouquins : la société Hyper Industrielle (Pierre Veltz : sociologue et ingénieur, ancien directeur de l’École des Ponts et Chaussées, a notamment publié Le Nouveau Monde industriel (Gallimard 2008) et la Grande Transition (Seuil 2008), Paris, France, Monde – Repenser l’économie par le territoire (L’Aube 2013.)
  • Marjolaine Gros Balthazard Docteur qui a soutenu sa thèse en novembre 18 sur le thème de l’avenir productif des territoires industriels

 

Marie-Josée Salat intervient ensuite :  Un mot sur notre territoire

Nous sommes sur une terre d’innovation ….Si Grenoble est souvent comparée à la Silicon Valley, c’est peut-être en référence à la  naissance de l’informatique ici même en 1952.

C’est Jean Kuntzmann, mathématicien enseignant-chercheur grenoblois qui a su croiser les mathématiques avec la physique, ce qui a donné naissance à l’informatique.

L’économie de notre Métropole plus que d’autres peut-être, est historiquement marquée par un partenariat résilient entre l’industrie, l’université et la recherche.

C’est le fameux triptyque grenoblois … C’est un modèle d’innovation plutôt vertueux, reconnu pour être à l’origine de la politique française des pôles de compétitivité.

La forte interaction l’industrie, les hautes technologies, les services, demeurent des points d’ancrage déterminants de notre économie.

Notre territoire figure parmi les plus dynamiques de France.

  • 5 eme ville innovante au monde (Forbes en 2013)
  • 2eme en emplois industriels
  • 1er en emploi haute technologie et innovation.

Et j’imagine que pour Pierre VELTZ cela pourrait être un territoire d’observation pertinent pour ce qu’il désigne « l’hyper industrialisation ».

Pour ma part, je suis particulièrement attentive à son approche et analyse.

Pour GAM, qui exerce la compétence économie, notre objectif in fine est :

  • Préserver voire amplifier nos atouts >> histoire // écosystème Grenoblois
  • Favoriser le développement économique en renforçant l’attractivité du territoire, sa résilience, sa capacité à s’adapter à un contexte en perpétuelle évolution…
  • Agir pour que ce dynamisme soit à la faveur de l’emploi accessible à tous et toutes !

Ceci étant nous sommes traversés continuellement par différents questionnements :

  • Quel modèle de société voulons nous et quelle place le travail devrait prendre dans nos vies : quel partage ? quelles conditions de travail, quelles conditions d’emplois, quelle place pour l’action collective et les corps intermédiaires ? quelle démocratie dans l’entreprise ?
  • Comment à notre échelle, pouvons-nous anticiper freiner ou au contraire amplifier certaines évolutions ? le pouvons-nous à l’échelle d’une Métropole aussi puissante soit elle ?
  • Comment à notre échelle pouvons-nous insuffler plus de responsabilité sociale des entreprises ?
  • Comment donner du sens à cette frénésie qui nous pousse à produire plus et à consommer plus ?
  • Y a-t-il une alternative entre une économie frénétique et une économie décroissante qui ne me fait pas vraiment rêver ?

Bref comment préparer au mieux l’avenir de nos enfants et des futures générations ?

 

Marjolaine Gros-Balthazard  :

Qui vient de passer une thèse sur la dynamique des territoires en France à l’institut de géographie alpine   ,  intervient ensuite.

Elle a montré dans sa thèse la diversité des trajectoires industrielles des territoires en France, certains faisant preuve de vigueur, d’autres étant en perte de vitesse. La lecture de l’ouvrage de Pierre Veltz lui a suggéré trois types de questions :

1 géographique, quel rapport entre hubs et métropoles ?

2 quelle est la dimension humaine de la révolution industrielle ?

3 comment se pose la question de la durabilité (flux de matières et d’énergie notamment) ?

 

Le Président donne alors la parole à Pierre Veltz.

Celui-ci précise son métier, mixte entre sociologie, économie, géographie et ingénierie.

Nos sociétés connaissent des mouvements très importants. Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas de désindustrialisation La production industrielle continue à augmenter mais avec de tels gains de productivité que ses emplois ont diminué. Pour lui, l’industrie reste fondamentale, pas seulement pour l’innovation et le commerce extérieur.

Au niveau mondial avec une part de l’industrie relativement stable avec toutefois un basculement vers la Chine qui n’est pas seulement l’atelier du monde mais connaît une montée en gamme. Pour ce qui est des pays émergents Dani Rodrik a mis en évidence un phénomène de « désindustrialisation précoce », illustré par le graphique ci-dessous.

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« Les pays qui se sont récemment industrialisés ne parviennent pas à atteindre le niveau d’industrialisation qui fut auparavant atteint par les pays développés. Le processus de désindustrialisation semble s’amorcer de plus en plus tôt, que ce soit en termes de degré d’industrialisation ou de niveau de revenu.Les premières économies à s’être industrialisées ont vu l’emploi manufacturier représenter jusqu’à plus de 30 % de leur emploi total, ce qui n’est pas le cas des dernières économies à s’être industrialisées. L’emploi manufacturier commença à décliner (en termes relatifs) lorsqu’il atteignit respectivement 20 %, 16 % et 13 % de l’emploi total au Mexique, au Brésil et en Inde. Certes la Chine est devenue la première usine manufacturière mondiale, mais la main-d’œuvre qu’elle emploie dans le secteur manufacturier ne représente qu’une faible part de l’abondante main-d’œuvre dont elle dispose.Dani Rodrik (2014) propose une explication simple au phénomène de désindustrialisation précoce en reliant celui-ci à l’intégration aux marchés mondiaux. Lorsqu’un pays s’intègre aux marchés internationaux, son industrialisation est de plus en plus déterminée par les dynamiques de consommation des pays développés et de moins en moins par les siennes. Or la consommation des pays riches change en faveur des services, ce qui limite de plus en plus la marge d’industrialisation des pays émergents[1]. »

On assiste aujourd’hui, avec la robotisation, à un recentrage vers les pays développés où se trouvent les technologies, la recherche, les services et la formation.

A propos de la soutenabilité (cf la question de Marjolaine Gros-Balthazard), Pierre Veltz fait référence à l’effet (ou paradoxe de) Jevons. « Le paradoxe de Jevons énonce qu’à mesure que les améliorations technologiques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer. En particulier, ce paradoxe implique que l’introduction de technologies plus efficaces en matière d’énergie peut, dans l’agrégat, augmenter la consommation totale de l’énergie » (Wikipedia). Ceci explique la demande croissante de minéraux et d’énergie et donc la pression sur la planète dans son ensemble.

Autre raison de porter attention à l’industrie est la vitesse à laquelle se diffusent les normes industrielles dans les autres secteurs. Il faut arrêter de s’intéresser au seul secteur manufacturier. Monde des objets et monde des services ne sont plus séparables. Si on considère les chaînes de valeur ce qui est à l’amont et à l’aval de la production stricto sensu, ce sont des services (conception, logistique, etc.). France Telecom, Veolia ne peuvent-ils pas être considérées comme des industries ?

De plus les industriels vendent de plus en plus des services. On vend un objet et son usage. On vend même une « expérience ». Dans l’aéronautique, les producteurs de pneus vendent des nombres d’atterrissages plus que des pneus. La concurrence sur l’accès à des fonctions est un processus qui limite, au moins en partie, les processus d’obsolescence programmée. Dans l’automobile, on vend de la mobilité. Dans le cas des voitures autonomes, le conflit porte sur la captation de la valeur produite : GAFAM, équipementiers et constructeurs autour de la maîtrise des données qui seront produites  sur le comportement des passagers.

Les plateformes gèrent des marchés bifaces[2] où AMAZON est sans doute le meilleur.

Quatre caractéristiques de la production d’aujourd’hui :

1 Économie et savoirs communs : la production est socialisée car marquée par l’importance de la science, des infrastructures (notamment informatiques), les externalités (cf l’image de la pollinisation par les abeilles) en dehors des échanges marchands. Il n’y aurait pas d’Iphone sans une recherche en amont, souvent financée par des fonds publics.

2 On passe d’une économie des transactions à une économie des relations. Les transactions désignent des phénomènes routinisables et par conséquent automatisables, à l’exemple des transactions sur les marchés financiers où les ordinateurs prennent la place des traders. Les industries manufacturières, les universités, les hôpitaux, etc. sont des institutions qui ne peuvent fonctionner sans des relations de coopération entre les personnes qui s’y trouvent. La productivité dépend donc de la qualité de la coopération entre les différents opérateurs. .

3 Nous sommes dans une économie des coûts fixes anticipés comme par exemple dans la production des logiciels dont la reproduction après conception ne coûte pratiquement rien. D’où la nature monopolistique de la concurrence qui est accentuée par les effets de réseaux.

4 Une économie où la structure hiérarchique des entreprises se diversifie considérablement. Après les performances des entreprises taylorisées où l’on pouvait « faire des choses extraordinaires avec de gens ordinaires », on assiste au développement des formes coopératives.

Dans un monde de plus en plus capitalistique un enjeu essentiel est la fiabilité des équipements. Exemple : si on a 100 robots en chaine, même avec une fiabilité de chacun d’entre eux à 95%, l’ensemble de la chaine n’a plus qu’une fiabilité de 0,95% évidemment beaucoup plus faible. La productivité dépend donc de la qualité de la coopération entre les différents services. Cette importance de la qualité des relations explique les importantes différences qu’on peut constater entre des établissements différents. Par exemple une grande firme de l’agroalimentaire, constate des niveaux de productivité variant du simple au double entre des ateliers produisant les mêmes objets avec des machines identiques mais localisées dans des environnements géographiques (nationaux voire régionaux) différents.

D’après le compte-rendu de Michel Hollard

Pierre Veltz /La société hyper-industrielle/ Seuil 2017

Économie et statistique 2017 n°497-498 Numéro spécial coordonné par
Pierre Veltz /Régions et territoires : quelles évolutions ?/

[1]Source : http://www.blog-illusio.com/article-les-pays-emergents-face-a-leur-desindustrialisation-prematuree-123472337.html

[2]Il s’agit de gérer l’information permettant la mise en relation entre offreurs et demandeurs (cf Airbnb, Blablacar, etc.)

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