Le rêveur solitaire de l’Alhambra
Le 6 juin, lors de la remise des prix du « concours de contes et poèmes en espagnol », dans l’article paru dans le blog, la promesse avait été faite de traduire les oeuvres primées et de les publier.
Pour commencer, voici le conte écrit et traduit par « Jean-Jacques Pellegrin »
Et la traduction du conte :
Le rêveur solitaire de l’Alhambra
Grenade. Déjà se levait une aube blafarde que chassait les dernières ombres de la nuit. Je me trouvais sur une terrasse de l’Albaicín. Devant moi s’offrait une splendide citadelle festonnée de palais et de tours, toute entière nimbée d’une brume rose et diaphane. Mirage ? Offrande des dieux ? Miracle du génie humain ? C’était l’Alhambra, le château rouge des Maures.
A l’est, la silhouette altière de la Sierra Nevada, gardienne tutélaire des lieux. Plus loin vers le sud, l’on distinguait la « Passe du dernier soupir », là-même où en 1492, Boabdil l’émir vaincu dut subir la terrible sentence de Aïcha, son implacable mère : « Pleure comme une femme ce que tu n’as pu défendre comme un homme ».
Peu après, je débutai ma visite du site par le Généralife, édifice d’une rare élégance dont les fontaines reflétaient l’exquise indolence. Bercé par le murmure de leurs eaux, je déambulai dans cette oasis, véritable métaphore du Coran.
Je descendis ensuite jusqu’à l’Alcazaba avant de découvrir l’enfilade des palais musulmans. Je m’extasiais devant tant de splendeurs : le salon des Ambassadeurs, le patio des Lions et les jardins. Ici, chaque pierre chantait la magie de l’endroit. Par contraste le palais circulaire érigé par Charles Quint me laissa assez dépité.
Le soir venu et les touristes partis, je me laissai enfermer dans l’Alhambra, bien décidé à en profiter pleinement en y passant la nuit.
Assis au pied de la Tour des Dames, je perçus des accords de guitare et songeai aux « Recuerdos de l’Alhambra » du compositeur Fransisco Tárrega, ou à Paco de Lucia jouant avec les gitans dans les grottes de Sacromonte.
Je laissai alors mon imagination prendre le pouvoir et convoquer d’illustres personnages du passé pour me parler de l’Alhambra.
Vint en premier Mohamed Nazar qui conquit Grenade en 1238, fonda la dynastie des Nasrides et commença l’édification de la citadelle.
Se présentèrent ensuite Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, les rois qui achevèrent la Reconquête par la prise de Grenade en 1492. Hautains, ils passèrent devant moi sans un mot. « Dédaigneux monarques ! » pensai-je, qui n’eurent pourtant aucun scrupule à se faire désigner comme « Rois catholiques » par un certain Rodrigo de Borja, un espagnol devenu Alexandre VI, en un mot le pontife le plus débauché de l’histoire de la Papauté.
Suivit Charles Quint qui m’expliqua qu’il avait construit son palais au beau milieu de l’Alhambra pour asseoir son pouvoir d’empereur chrétien tout en préservant les palais maures qui forçaient son admiration. Je lui représentai que l’enfer est pavé de bonnes intentions et que son palais me semblait comme un blasphème dirigé contre ce miracle de marbre et de dentelles. J’ajoutai qu’à mes yeux l’art mudéjar était plus réussi, qui avait su réaliser la symbiose harmonieuse entre l’Orient et L’Occident. Quelque peu froissé par mon opinion, il s’éloigna.
Je vis alors s’approcher Washington Irving, l’auteur des « Contes de l’Alhambra » et René de Chateaubriant, celui du » Dernier des Abencérages ». Je leur exprimai ma faveur pour leur vision romantique de ce site enchanteur. Irving me remercia et Chateaubriant ajouta que l’Alhambra était « Le refuge des esprits…un de ces édifices des Mille et Une Nuits ».
Mon dernier visiteur fut Garcia Lorca, le poète martyr, qui m’entretint de ses longues promenades et me convainquit que l’Alhambra était bien « L’axe esthétique de Grenade ».
Les premières lueurs de l’aube mirent fin à notre conversation.
Non sans nostalgie je quittai les lieux et m’échappai en direction de la mer. Parvenu à la « Passe du dernier soupir, je fis une halte, regardai une dernière fois l’Alhambra, ce fragment d’éternité et me récitai le vers sublime qu’avait écrit dans le jardin des Ardaves Fransisco de Icaza : « Fais lui l’aumône, femme, car dans la vie il n’est pire supplice que d’être aveugle à Grenade ».
Je m’éloignais enfin sur les traces de Boabdil.
Mais, à la différence de l’émir déchu, je murmurai : « Grenade, je reviendrai ».
Jean-Jacques Pellegrin
Cours d’espagnol de Ligia Martins