Jeu blanc
La liste des 9 livres retenus par le comité de sélection pour le Prix Littéraire 2019 vous sera bientôt dévoilée. Pour vous faire patienter, voici un roman, qui n’a pas été retenu, malgré toutes ses qualités. Mais nous avions un chiffre à ne pas dépasser, sous peine …. d’épuiser nos jurés. »
Nicole Dupré…Membre du comité de sélection du “Prix littéraire”
JEU BLANC de Richard WAGAMESE
Le” jeu blanc”, c’est le hockey sur glace, le sport national canadien dont les équipes ne pouvaient être constituées que de Blancs dans les années 1960. Le héros du livre, c’est Saul Indian Horse, le premier Amérindien à intégrer par ses talents une équipe blanche prestigieuse.
Richard Wagamese (1955-1917) est un écrivain canadien anglophone , auteur de 13 romans , natif des “Premières Nations” et plus précisément de la nation ojibwé dans le nord-ouest de l’Ontario. Ce roman autobiographique n’a connu une traduction française qu’en 2017, juste avant la mort de son auteur. Les éditions suisses romandes Zoé avaient fait paraitre , quasiment en même temps, “Les étoiles s’éteignent à l’aube”, déjà remarqué.
Nous découvrons ainsi un auteur singulier et un roman captivant. L’enfant ojibwé est arraché à huit ans à ses racines et soumis au programme d’assimilation canadien pour les autochtones. Sa passion pour le hockey et son intelligence du jeu vont , dans un premier temps, lui offrir une évasion salvatrice avant de le confronter au racisme le plus violent. Son destin, à la fois unique et représentatif de celui des peuples natifs est le thème d’un récit dénonçant leur acculturation et leur humiliation destructrice.
La première partie du roman m’a paru la plus belle, magique. Avant d’être amené à la mort de sa grand mère à la St Jerome Residential Indian School, noeud de son destin, Saul vit caché dans les forêts, au contact des traditions indiennes avec celle qui veut le préserver du sort de ses parents , happés par les chantiers forestiers et le whiskey canadiens, ou de son frère, échappé de l’école des Blancs et mort de tuberculose. Son nom de famille vient de son arrière grand père , chaman et trappeur qui amena dans sa tribu un cheval, animal des Zaunagush (Blancs),” pénétra son esprit et en apprit le pouvoir sacré”. L’enfant hérite de la capacité de voyance de son aïeul au contact des esprits de la nature et des animaux
Mais “tout ce que je connaissais d’Indien disparut au cours de l’hiver 1961, quand j’avais huit ans”. Assimilation forcée et sévices règnent dans cette institution catholique. . Va t’il sombrer dans le désespoir, la maladie et le suicide comme beaucoup d’enfants enlevés à leur famille? Le père Leboutilier introduit le hockey et met en place une équipe de garçons. Avec le soutien du religieux, la glace devient pour Saul une passion exclusive et un rêve d’évasion.
Saul est un joueur exceptionnel, de petite taille mais visionnaire et rapide. Le récit des matchs remarquables pour un non-initié n’a rien de fastidieux, car il est sous-tendu par l’idéal et la volonté absolus de Saul de se réaliser dans ce sport. Premier joueur indien à participer à l’équipe prestigieuse de Toronto, il comprend que le hockey est bien “un jeu blanc”. Un racisme haineux, très violent en ce début des années 1970, lui enlève le plaisir de jouer . C’est une dégringolade rapide dans l’alcool et l’auto- destruction .
Roman remarquable sur l’acculturation brutale imposée aux Amérindiens par l’Etat canadien avec toutes ses séquelles, Jeu Blanc est aussi un roman de résilience : invité à raconter son histoire dans un établissement de soins psychiatriques, Saul cessera de fuir la vérité du traumatisme subi à St Jerome School et décidera de témoigner pour les enfants indiens des institutions catholiques canadiennes.
Richard Wagamese nous offre un beau roman à l’écriture sobre car il n’est pas besoin de rajouter du pathos pour décrire la cruauté , l’humiliation, la dépossession de soi , la rage. Il l’a écrit pour aider son peuple à retrouver sa fierté et la singularité puissante de la culture amérindienne. Magali Roubaud
Jeu blanc de Richard Wagamese.
Editions Zoé, traduction septembre 2017 (première parution 2012). 250 pages.